Penser sa retraite

Après plus de 60 ans de son existence passée à devoir “rendre des comptes”, la retraité entre pour la première fois de sa vie dans un espace-temps de liberté totale. Pour maîtriser cette liberté, souvent souhaitée, parfois redoutée, il faut s’y préparer.
Vivre sa vie sans avoir à la gagner. En théorie, la retraite a de quoi faire rêver. D’ailleurs, la majorité des salariés à l’approche de la soixantaine ont hâte d’entrer dans ce nouveau quotidien sans réveille-matin, sans réunion, sans tâche à accomplir ni agenda. Il n’en reste pas moins que ce passage dans une autre vie constitue aussi une forme de traumatisme, ressenti avec plus ou moins de violence selon les personnes. « La retraite, c’est d’abord un deuil », explique Stéphane Dieutre, coach et fondateur de l’Institut Aristote, spécialisé dans l’accompagnement des personnes et des équipes au sein des entreprises. «Or faire le deuil d’un statut socioprofessionnel peut être très douloureux, surtout pour les personnes qui s’identifient fortement à leur travail, » Les dirigeants d’entreprise et les cadres supérieurs ne sont pas les seuls à ressentir une perte d’identité. Tous les salariés passionnés par leur travail partagent cette peur de basculer dans le vide. « Certaines personnes qui sacralisent le travail peuvent être dans un déni total et refuser l’idée même de la retraite jusqu’au dernier moment. Elles ne s’y préparent pas et, chez elle, le risque de dépression est extrêmement fort. »

Une liberté à accepter et à conquérir…

Même fortement souhaité, un départ à la retraite, ça s’anticipe. Une préparation entamée très en amont, environ trois ans avant la date du départ, est gage de réussite. Cette préparation au passage à la retraite offre deux enjeux majeurs: assurer une belle conclusion à sa vie professionnelle et poser les bases de sa nouvelle existence de retraité. Il convient donc de « travailler » les deux simultanément.
La retraite se prépare aussi dans la tête.

Donner du sens à la fin de sa carrière

La question de l’accomplissement est centrale, selon Stéphane Dieutre. Il faut clore le cycle de la vie professionnelle. Cette conclusion peut prendre diverses formes: choisir et former un successeur pour transmettre son savoir-faire, s’engager dans un projet qui s’achèvera au moment du départ… « Certaines entreprises aident leurs salariés à passer cette période de transition en leur dégageant du temps pour une autre activité, comme du mentorat. » Dans le cadre d’une opération de solidarité, une entreprise chimique du sud de la France a ainsi confié à un technicien en fin de carrière la réalisation d’un home-trainer pour un club d’athlétisme handisport local: libéré de ses activités habituelles, il a mené son projet en autonomie et livré sa réalisation la veille de son départ. Selon lui, cette dernière « mission »lui a permis de « boucler la boucle ».

Etablir un bilan d’accomplissement

Les grandes questions existentielles ne doivent pas être éludées. Au contraire , au moins un an avant de partir, il est important de prendre le temps de lire un récit de vie. Qu’ai-je accompli? Quelles sont les forces qui se sont exprimées durant ma carrière et quels talents n’ai-je pas pu exploiter? « Il faut comprendre les multiples traits de sa personnalité et regarder au-delà de la facette, fatalement réductrice, qu’on a présentée tout au long de sa vie professionnelle. Il faut prendre conscience de sa richesse mais aussi des ombres qui vont avec. Stéphane Dieutre cite en exemple une commissaire-priseuse qui, après son bilan d’accomplissement, a donné une tonalité inattendue à sa retraite: « Elle s’était parfaitement réalisée dans son métier. Mais elle s’est aperçue que, durant ces années, elle avait négligé l’aspect humain dans ses relations avec autrui. Elle a suivi une formation de psychothérapeute et aide aujourd’hui les autres ».

Se projeter dans sa nouvelle vie

Lors du passage à la retraite, les fantasmes se confrontent à une réalité différente de celle qu’on avait imaginée. Les activités, certes nécessaires, doivent laisser de la place à tout ce qui va s’inventer de manière naturelle. «Certains profils vont exorciser la peur du vide et de la rupture en multipliant les projets. Ils ne vont pas se laisser la chance de la vacance et de la réinvention. Or bénéficier d’une vraie respiration est une très grande chance. » Préparer sa retraite. C’est aussi se préparer à ne rien faire.

4 façons de franchir le cap
Dans leur article « Le passage à la retraite: craintes et espoirs » (Connexions, n° 76, 2001), Daniel Alaphilippe, Kamel Gana et Nathalie Bailly déterminent quatre profils types.

      • L’effondrement »: diminution de toutes les activités et des relations sociales. Il touche surtout les personnes les plus défavorisées dont la situation tend à se dégrader.
      • Le « repliement»: baisse des relations sociales, allongement des périodes oisives (vacances, télé). Surtout chez les cadres supérieurs et les professions intermédiaires,
      • La « retraite réanimation »: multiplication des activités de loisirs, surtout chez les ouvriers et les femmes seules.
      • L’« épanouissement »: développement des activités et des relations sociales et familiales, forte satisfaction et bonne santé. Surtout chez les professions intermédiaires.